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Uti Possidetis Juris and Israel's Borders

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A year ago

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Peut-on appliquer le principe d'Uti Possidetis Juris aux frontières d'Israel ? L'argument est développé depuis quelques années et vient de faire irruption sur twitter x.com/CohenJulien/status/1874381594636456233
Il a été récemment soulevé par la vice-présidente de la CIJ, la Juge Sebutinde, dans son opinion dissidente de l'avis sur les "Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est" (CIJ, 2024) icj-cij.org/sites/default/files/case-related/186/186-20240719-adv-01-02-enc.pdf
De quoi s'agit-il ?
Uti Possidetis Juris est un principe de droit international coutumier. Tout d'abord, ayez à l'esprit que le droit international coutumier est une source de droit très importante, qui a la même valeur qu'un traité (il n'y a pas de hiérarchie des normes en droit inter). Le droit international coutumier se forme par une pratique des Etats uniforme, constante et générale, qui agissent avec le sentiment de satisfaire à une obligation légale.
Utis possidetis juri est donc le résultat d'une pratique générale, constante, et uniforme des Etats, dans certaines circonstances, Etats qui l'appliquaient avec le sentiment de suivre une règle de droit.
Pour le définir brièvement : quand un nouvel Etat est établi sur un territoire qui était antérieurement soumis à un régime colonial, les frontières de ce nouvel Etat correspondent aux frontières de l'ancien régime colonial.
👉Ce principe s'applique même si des minorités ethniques ou nationales, sur ce territoire, veulent exercer leur droit à l'autodétermination par la création d'un Etat séparé.
Ce principe est utilisé depuis le XIXème siècle pour stabiliser les frontières et stabiliser les conflits. Il a été décrit par la CIJ comme un "principe général lié au phénomène d'acquisition de l'indépendance" (Différend frontalier, Burkina Faso/République du Mali, CIJ 1986) et extensivement appliqué, à notre époque, à la décolonisation en Afrique. icj-cij.org/fr/affaire/69/arrets
❗L'objet du principe uti possidetis (la raison pour laquelle il est applique) est de promouvoir la stabilité des frontières et d'éviter les conflits lorsque la puissance occupante se retire. Ce serait d'ailleurs la raison du plan de partition présenté par l'Assemblée Générale le 29.11.1947, avant le retrait des britanniques.
👉Pas mal de jurisprudence à ce sujet de la CIJ, notamment : Différend frontalier opposant le Bénin au Niger, 2005; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, 2002. icj-cij.org/fr/affaire/69/arrets icj-cij.org/fr/affaire/94
Sur quoi repose ce principe ? 👉 la continuité territoriale : la CIJ insiste sur le fait que les frontières coloniales deviennent les frontières du nouvel Etat, à moins qu'elles ne fasse l'objet d'un accord contraire ultérieur 👉 l'importance des titres juridiques préexistants : la Cour examine les cartes, les lois coloniales et autres documents 👉 la stabilisation des frontières : l'utis possidetis vise principalement à stabiliser les situations frontalières.
L'uti possidetis, notamment dans son application en Afrique, pose une présomption, celle de l'existence d'une souveraineté territoriale, d'une part, et, d'autre part, d'une homogénéité des peuples. droit.cairn.info/revue-civitas-europa-2023-2-page-101?lang=fr&tab=resume
C'est ce qui justifie qu'on écarte le droit à l'autodétermination des minorités : des frontières stables, plutôt que le morcellement de l'existant.
⚖️ Autre élément à prendre en compte dans l'application du principe UPJ, la notion de "date critique" : la date utilisée pour évaluer la souveraineté d'un demandeur - c'est en général la date de revendication d'indépendance. 👉Par exemple, dans l'affaire du Statut légal du Danemark oriental, la PCIJ, en 1933, a indiqué que la date critique était le 10 juillet 1931, date de revendication norvégienne. worldcourts.com/pcij/eng/decisions/1933.04.05_greenland.htm
✅❓L'hypothèse défendue dans la vidéo ci-dessus est que, puisqu'Israel est un Etat né sur le territoire de la Palestine après que le mandat britannique ait cessé en 1948, les frontières d'Israel doivent correspondre aux frontières de la Palestine sous mandat.
1️⃣✅ L'argument principale est qu'Israel est devenu un nouvel Etat en 1948, se proclamant comme tel à l'expriation du mandat britannique. Le nouvel Etat a été immédiatement envahi par ses voisins (et des non-voisins) et, à la fin des hostilités, Israel ne possédait qu'une part du mandat britannique (le reste étant occupé par la Syrie, l'Egypte et la Jordanie). Israel et les Etats voisins ont essayé en vain de s'accorder sur des traités de paix ou une détermination commune des frontières.
👉Ainsi, bien qu'une partition ait été proposée par l'ONU, Israel est le seul Etat qui ait émergé du Mandat britannique en Palestine et devrait donc, en vertu de l'uti possidetis juris, revendiquer les frontières de l'ancien mandat britannique.
2️⃣✅ les accords de paix signés depuis avec les Etats voisins renforcent l'application de l'uti possidetis : ils sont explicitement basés sur les frontières du Mandat britannique et Israel ne les a signés que pour obtenir la paix (étant entendu que le principe est la souveraineté à l'intérieur des frontières du mandat britannique, frontières qu'Israel aurait accepté de réviser pour faire la paix)
👉Ainsi, la mise en oeuvre de l'uti possidetis reconnaîtrait à Israel sa souveraineté sur Jérusalem Est, Gaza, la Cisjordanie - sauf les territoires qu'Israel aurait volontairement cédés.
⚖️ Cette interprétation est renforcée par la jurisprudence de la CIJ : elle a reconnu (Différend frontalier, Burkina Faso/République du Mali, CIJ 1986) que lorsque les démarcations administratives coloniales et l'exercice du pouvoir colonial à l'intérieur de ces frontières étaient clairs, évident, alors ces démarcations devaient servir de frontière, même si le nouvel Etat n'exerçait pas (encore) son autorité sur l'intégralité du territoire.
▶️ Autrement dit, un Etat accédant à ce statut par uti possidetis juris ne la perdrait pas simplement parce qu'un autre Etat/entité administrerait une partie du territoire. 👉 Ce qu'on comprend, c'est que, par exemple, l'occupation du plateau du Golan par la Syrie ou l'exercice par l'autorité palestinienne de son autorité sur la Cis-jordanie ou Gaza ne comprometteraient pas la souveraineté d'Israel sur l'intégralité du territoire, en tous les cas au regard de l'applucation d'uti possidetis.
3️⃣✅ le principe uti possidetis est appliqué pour établir des frontières intangibles, primant sur le droit des peuples à l'autodétermination. 👉 cela signifierait que l'établissement de frontières stables héritées de l'ancien mandat britannique en Palestine primerait sur le droit des palestiniens à l'auto-détermination, renforçant une éventuelle revendication de l'intégralité du territoire par Israel.
⚖️La commission Badinter établie à l'occasion de la partition de l'ex-Yougoslavie a a déclaré : "quelles que soient les circonstances, à moins que les Etats concernés en décident autrement, le droit à l'auto-détermination ne doit pas permettre de changer les frontières existant au moment de l'indépendance (uti possidetis juris)" Texte complet cité par Alain Pellet : ejil.org/pdfs/3/1/1175.pdf
4️⃣✅ ce principe a été utilisé fréquemment pour délimiter les frontières des nouveaux Etats, pas seulement en Amérique du Sud et en Afrique, mais notamment ceux créés à partir de l'ex-Yougoslavie, de l'ancienne Tchécoslovaquie ou de l'ex URSS. 👉Le territoire revendiqué par l'Ukraine et internationalement reconnu est le résultat de la mise en oeuvre du principe uti possidetis.
🤔Tous ces arguments sont séduisants. Ils sont en outre développés par une avocate dont l'objectif est de vous persuader. Je comprends que certains y voient "une démonstration implacable", mais c'est plus le résultat de son professionalisme et d'une méconnaissance du droit applicable.
❌ Je vois pour ma part plusieurs points faibles à ce raisonnement : (les ✅ et les ❌, c'est juste pour distinguer les arguments en faveur ou en défaveur de l'hypothèse, pas pour distribuer les bons et mauvais points)
1️⃣❌ Il est indéniable que utis possidetis a été utilisé pour privilégier la stabilité des frontières à l'autodétermination des peuples (avec les résultats dramatiques qu'on voit tous les jours en Afrique).
En revanche, il n'a jamais été utilisé pour autoriser une population minoritaire à revendiquer la souveraienté sur l'intégralité du territoire colonial, frustrant derechef le droit à l'autodétermination d'une majorité nationale du territoire (en 1946, au moment du rapport à l'ONU qui recommandait la partition, les juifs représentaient 1/3 de la population sous mandat britannique)
2️⃣❌Beaucoup plus important à mes yeux, au moment de l'indépendance d'Israel, ses dirigeants n'ont jamais revendiqué les frontières de l'ancien Mandat britannique. Ils ont même revendiqué le contraire : ils ont accepté le principe de la partition, même s'ils n'en étaient pas tout à fait satisfaits.
L'appel au recours à l'uti possidetis apparait comme une sorte de réécriture de l'histoire, alors que les preuves abondent que ceux qui ont présidé à la création de l'Etat n'ont jamais eu l'intention de revendiquer la totalité du territoire.
3️⃣❌ Israel n'a jamais agi comme si les frontières de l'Etat étaient celles de l'ancien mandat britannique. En particulier, les territoires dont Israel a pris le contrôle après la déclaration d'indépendance ont été désignés comme territoires occupés. 👉 par exemple, Abba Eban "The above areas outside the territory of the State of Israel are under the control of the military authorities of the State" digitallibrary.un.org/record/636339?v=pdf 👉 Autre exemple, il a été nécessaire d'adopter une loi particulière pour que la loi israélienne s'applique à Jérusalem Est.
4️⃣❌ Dernier argument : uti possidetis juris s'oppose à la doctrine uti possidetis facto. Uti possidetis facto détermine les limites de souveraineté en se fondant sur les faits, la réalité, alors que uti possidetis iuri détermine les limites d'un territoire souverain en se fondant sur des décisions préexistantes. La première était destinée à justifier la souveraienté des colons sur des terres "qui n'appartenaient à personne" (comme l'Australie).
Au combat des deux, la deuxième gagne ; l'ONU, a proposé une partition pendant le mandat britannique, ce qui suggère une subdivision administrative du territoire acceptée par la puissance occupante (les britanniques) et justifie qu'Israel ait déterminé ses frontières en se basant sur ce modèle et non sur l'entièreté de la Palestine.
👉 Les Etats de l'ancien empire espagnol en Amérique du Sud ont décidé d'appliquer le principe d'uti possidetis juris entre eux, retenant les frontières administratives intérieures. Lorsque le Nicaragua a contesté cette répartition, décidée au XIXème s, la CIJ a indiqué que l'application du principe pouvait naitre de l'accord entre les parties (Frontière terrestre, insulaire et maritime, Salvado c/ Honduras, intervention du Nicaragua) 1992
▶️En l'espèce, diverses preuves indiquent qu'Israel a accepté la répartition proposée, ce qui rend difficile, sinon impossible, à mon avis, une revendication des frontières de l'ancien Mandat britannique fondées sur l'uti possidetis.
📘En conclusion 👉 Cet exemple souligne une nouvelle fois que, contrairement à ce que beaucoup pensent, le droit n'est pas histoire d'avoir raison ou tort, mais quels arguments sont les plus convaincants : par exemple, oui, Israel est le seul Etat ayant émergé du Mandat britannique mais d'un autre côté, n'a jamais revendiqué ni l'application de ce principe, ni des frontières aussi étendues pendant des décennies.
Le principe iuri possidetis est un outil de stabilisation des frontières qui ne peut s'appliquer lorsque les frontières extérieures sont contestées. Qui peut croire aujourd'hui que son invocation permettrait un apaisement ?
Tout ceci est une vulgarisation. Pour plus de précisions Rothwell (D.), Kaye (S.) & al : Internatonal Law, 3rd edition, Cambridge, 2020, 828 p. Corten (O.), Delcourt (B) et al, Démembrements d'Etats et délimitations territoriales : l'uti possidetis en question(s), Bruylant 1999, 456p Ratner (S.) : Drawing a Better Line: UTI Possidetis and the Borders of New States, American Journal of International Law. 1996;90(4):590-624. doi:10.2307/2203988 Shaw (M.) : Peoples, Territorialism and Boundaries, European Journal of International Law, Volume 8, Issue 3, 1997, pp 478–507, doi.org/10.1093/oxfordjournals.ejil.a015594 Bell (A.) & Kontorovich (E.) : Palestine, Uti Possidetis Juris, and the Borders of Israel, 58 ARIZ. L. REV. 633 (2016) arizonalawreview.org/pdf/58-3/58arizlrev633.pdf Kretzmer (D.) : The principle of uti possidetis juris and the borders of Israel, Verfassungsblog, 9.10.24 verfassungsblog.de/the-principle-of-uti-possidetis-juris-and-the-borders-of-israel/
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Céline de Roany

@TreatyTales

🌍 Int'l Law Lecturer at @Griffith_Uni 🇦🇺 |🖋️ Écrit des polars 🇫🇷 | 💬 Views my own