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Responsabilité des États dans le Changement Climatique

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A year ago

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Climat vs États : qui est responsable ? 🌐 En 2023, l'Assemblée Générale de l'ONU a demandé à la CIJ son avis sur les diverses obligations des Etats en matière de changement climatique. 🤓 Au début du mois de décembre, la CIJ a auditionné les intervenant à la procédure : 97 Etats et 11 organisations internationales ont remis leur intervention écrite et/ou sont venus l'expliquer devant la Cour avant que cette dernière rende son avis.
On attend de la CIJ qu'elle clarifie d'une part l'étendue et le contenu des obligations des Etats en matière de lutte contre les changements climatiques et d'autre part la question des réparations, en particulier les conséquences légales des dommages significatifs subis par les Etats et les personnes, aujourd'hui, comme demain. Ce qu'on peut résumer par : qui va payer quoi ? icj-cij.org/fr/affaire/187
Je ne vous apprendrai rien en énumérant les différents groupes en présence : ▶️ les Etats développés, qui ont beaucoup pollué autrefois et sont aujourd'hui à la pointe de la lutte, auxquels on peut peut-être reprocher des émissions dites historiques. Ces Etats peuvent assumer les conséquences des changements climatiques qu'ils subissent ou seraient amenés à subir. ▶️ les Etats en développement, qui polluent beaucoup aujourd'hui afin d'assurer leur développement et peuvent assumer les conséquences des changements climatiques qu'ils subissent ou seraient amenés à subir. ▶️ les Etats en développement qui subissent les conséquence du changement climatiques sans participer aux émissions et n'ont pas les moyens de faire face aux conséquences.
Les questions à régler sont principalement 1️⃣ Les relations entre le régime du droit international relatif au climat et les autres régimes de droit international (droits de l'homme, droit de la mer) 2️⃣ L’existence et l’application d’un droit coutumier international 3️⃣ L’interprétation de l’Accord de Paris 4️⃣ Les droits humains, en particulier le droit à un environnement sain
Explications et arguments principaux 👇
1️⃣ Les relations entre le régime du droit international relatif au climat et les autres régimes de droit international (droits de l'homme, droit de la mer)
La Cour devra trancher entre : - le régime de la lutte contre les changements climatiques (Convention sur les Changements climatiques et Accord de Paris principalement) constitue-t-il un régime indépendant qui supplante les obligations internationales des Etats ou - se contente-t-il de les compléter (ce qui veut dire que les autres obligations des Etats continuent de s'appliquer en matière de changements climatiques)
👉Si le régime du droit du climat est indépendant, alors les Etats pourront se dédouaner de toute responsabilité s'ils démontrent qu'ils respectent leurs obligations nées de l'accord de Paris. ✅ avantages : ça incite les Etats à se conformer à leurs obligations en la matière pour ne pas avoir à supporter les conséquences de changements climatiques. ❌ inconvénients : ça ne règle pas les conséquences actuelles de ces changements climatiques, laissant les Etats qui les subissent dans les limbes.
❓Au nom de quoi pourrait-on considérer que le droit du climat s'applique à l'exception du reste ? 🤓Il existe en droit un principe qui veut que la loi plus spécifique prime sur la loi plus générale, c'est le principe de la "lex spécialis". Suivant cette argumentation, le régime de l'Accord de Paris (et plus généralement de la Convention sur les changements climatiques) serait donc un système spécifique, complet et indépendant, qui se suffirait à lui-même et primerait sur les normes plus générales du droit international public.
❓Pourquoi est-ce important ? ▶️Les enjeux sont énormes.
👉Prenons un exemple de "droit général" qui, si on suit le raisonnement exposé plus haut (régime climatique indépendant) ne s'appliquerait pas : il existe un principe de droit international général qui interdit aux Etats de causer des dommages transfrontières, le "No-Harm Principle".
Ce principe fonde une partie du droit de l'environnement : l'Etat a le devoir de prévenir, réduire et contrôler le risque de dommage environnemental qu'il causerait, par son action, aux autres Etats. Ce principe est solidement établi : arbitrage dans l'affaire du Trail Smelter (1939/1941), celui du Lac Lanoux (1957), un avis de la CIJ sur l'utilisation des armes nucléaires (1996) et un arrêt sur les barrages Gabcikovo-Nagymaros (1997).
Ce principe a fait naitre une obligation de prévention des dommages transfrontières, mais aussi un droit de la responsabilité : celui qui cause un dommage transfrontière a l'obligation de le réparer ou d'indemniser les dommages causés.
S'il trouvait à s'appliquer dans le cas des changements climatiques, les Etats lésés pourraient exiger des Etats déclarés responsables une réparation pour les dommages subis.
De même, si le régime du droit du climat n'est pas indépendant, alors les Etats doivent non seulement respecter leurs obligations de l'accord de Paris, mais également les droits humains. Leur responsabilité dans la violation du droit à un environnement sain, par exemple, pourra être engagée par les individus, voire les Etats, qui souffrent des désordres climatiques.
▶️ Ceux qui refusent l'idée d'un régime indépendant et militent pour que les obligations "climatiques" des Etats soient complémentaire du droit international général argument :
- que l'intention des parties de limiter les obligations des Etats à l’Accord de Paris n’a jamais été exprimée au moment de l’adoption de l’accord. - que, par exemple, les droits humains figurent dans le préambule de l’Accord (qui interviendrait donc pour les renforcer, plutot que pour kes remplacer)
- que l'Accord de Paris ne contient aucune règle secondaire qui prévoit les conséquences des violations de l’Accord : dans ce cas, la règles est de se tourner versle droit international général, et donc la règle de réparation en cas de dommage transfrontière
- sur l'art. 31-3-c de la convention de Vienne sur l’interprétation harmonieuse des Traités : “il sera tenu compte, en même temps que du contexte (…) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties". Les parties l’interprètent ici comme suggérant non une réduction des autres obligations, mais comme une complémentarité renforçant les obligations des deux côtés. Selon le Mexique et le Costa-Rica, cette règle dite d’interprétation harmonieuse vise à créer une réponse coordonnée qui comblerait les lacunes du droit international du climat, en faisant émerger la responsabilité des Etats. legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/conventions/1_1_1969.pdf
👉En soutien de cette analyse, on peut rappeler la récente opinion du tribunal du droit de la mer (ITLOS) qui a rejeté l’idée que le droit international du climat serait une lex specialis (= une loi qui supplanterait le droit international général) : itlos avait en effet considéré que le tribunal ne considérait pas que l’accord de la Paris modifiait ou limitait les obligations au regard du droit de la mer. itlos.org/fileadmin/itlos/documents/cases/31/Advisory_Opinion/C31_Adv_Op_21.05.2024_orig.pdf
Pour appuyer cette interprétation, le Bengladesh rappelle que la règle voulant qu'une loi spéciale (lex spécialis) supplante une loi plus générale n'est utilisée que lorsque plusieurs normes internationales sont en conflit et vise à résoudre ce conflit, ce qui n'est pas le cas ici.
Autre question qui devra être tranchée par la CIJ : 2️⃣ L’existence et l’application du droit coutumier international
C'est l'occasion de rappeler ce qu'est le droit coutumier international (comme, par exemple, l'obligation de prévenir un dommage transfrontière vue un peu plus haut).
❓Qu'est-ce que le droit coutumier ? ⚖️ En droit international public, une règle coutumière est une source primaire du droit, qui a autant de valeur qu'une obligation née d'un traité - il n'y a pas de hiérarchie entre les deux. L'avantage d'une obligation conventionnelle (=née d'un traitée), c'est qu'elle est écrite et qu'on peut s'y référer aisément. Le droit international coutumier, lui, est déduit de la pratique des Etats et de leur intention dans l'action : pour démontrer une règle coutumière, il faut montrer qu'un grand nombre sinon tous les Etats, avec uniformité, constance, ont agi d'une certaine manière (Exigence de pratique des Etats) en estimant qu'ils agissaient légalement (Opinio Juris). Au cours des dernières décennies, la CIJ a ainsi déterminé l'existence de coutumes internationales, comme, par exemple, celle qui oblige les États à ne pas utiliser leur territoire de manière à nuire à d'autres États (Détroit de Corfou, 1949). La formation d’une coutume est un processus flexible mais rigoureux, reposant sur la cohérence et l’acceptation juridique de la pratique.
Si aucun Etat aujourd'hui ne conteste l'existence d'une obligation générale de prévenir, limiter et réparer les dommages transfrontières, plusieurs d'entre eux objectent à son application dans le cadre des changements climatiques, usant différent arguments : - cette obligation s'applique dans un cadre bilatéral, interdisant à un Etat de polluer le territoire de son voisin. - si elle s’applique à un phénomène mondial comme les changements climatiques, son application est récente et ne peut concerner les émissions dites historiques. La France et l’Allemagne s’interrogent ainsi sur le point de départ d’une telle obligation, la Suisse estimant que cette obligation ne saurait être antérieure au premier rapport IPCC, à savoir 1990 - un Etat qui se conforme à l'accord de Paris doit être automatiquement considéré comme ayant rempli son obligation coutumière de "no harm".
3️⃣ L’interprétation de l’Accord de Paris 👉En particulier, quelle est l'étendue du principe (novateur) de "Responsabilités communes mais différenciées" des Etats ? L'accord de Paris laisse les Etats libres de choisir le contenu de leur contribution déterminée au niveau national (CDN) sans fournir d'orientation pour répartir les émissions restantes entre eux . Dans ce cas, comment répartir les responsabilités entre un Etat qui s'est fixé des objectifs ambitieux qu'il n'a pas tout à fait atteint sans tenir responsable un Etat qui, lui, s'est fixé des objectifs faciles et a donc rempli ses obligations ? un.org/fr/climatechange/all-about-ndcs De nombreux Etats contestent l’existence d’obligations différenciées pour les Etats développés et en développement. Leur argumentation repose sur l’idée que la complexité des relations de cause à effet entre les émissions et les dommages ne permet pas d’attribuer individuellement la responsabilité de dommages aux Etats. Or, la responsabilité d'un Etat qui cause un dommage, doit être individuelle, certaine et évaluable.
Dernière question, celle des droits à protéger 4️⃣ Les droits humains, en particulier le droit à un environnement sain ⚖️ Le récent arrêt (2024) de la Cour Européenne des droits de l’homme, "KlimaSeniorinnen" sur le droit à un environnement sain a été cité à de nombreuses reprises. Cet arrêt confirme que le respect des obligations de l’Accord de Paris n’éteint pas les obligations des Etats dans le contexte du changement climatique. hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22itemid%22:%5B%22001-233258%22%5D%7D La question des droits humains sera certainement une question centrale de l’opinion de la CIJ. Un grand nombre d’entre eux sont affectés, en particulier les droits à l’alimentation, à l’eau, à la vie, à l’éducation, à la santé et à la culture ainsi que les droits des générations futures. De nombreux Etats ont invoqué le droit à un environnement sain, en soutenant que ce droit s’était cristallisé en norme coutumière internationale. Cependant, plusieurs d’entre eux ont rejeté cette idée, qui ne remplirait pas les conditions d'existence d'une coutume.
C'est tout pour aujourd'hui => N'hésitez pas à poser vos questions. J'ai conscience qu'il s'agit d'un sujet très technique et un peu compliqué, mais ce sujet vous concerne directement ; je crois qu'il est important que vous compreniez les enjeux de la décision à venir.
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Céline de Roany

@TreatyTales

🌍 Int'l Law Lecturer at @Griffith_Uni 🇦🇺 |🖋️ Écrit des polars 🇫🇷 | 💬 Views my own